Vaccin contre le Covid-19: comment répondre à l'hésitation de nos patients ?
Dr Alessandro Diana | Membre expert à Infovac | Pédiatre à la Clinique des Grangettes-Hirslanden | Chargé d’enseignement à la Faculté de Médecine de Genève
C’est la première fois dans l’histoire de la vaccinologie que des vaccins ont été développés en moins d’une année depuis l’identification du pathogène.
Et sans surprise nous assistons à une recrudescence de la vaccino-hésitation parmi nos patients et professionnels de la santé.
Hésiter est légitime. Que cela soit pour une intervention médicale, pour une intervention chirurgicale ou pour une vaccination, nous devons accueillir le doute, l’hésitation et les interrogations de nos patients.
Cet article résume de manière globale la problématique de l’hésitation vaccinale, des approches qui sont avérées inefficaces et celles qui sont actuellement recommandées.
Pourquoi autant d’hésitation sur les vaccins ?
La vaccino-hésitation existe depuis le jour que Dr Edward Janner a inoculé un garçon de 8 ans avec le vaccin de la variole bovine en 1796.
Ce n’est qu’en 2019 que l’OMS a déclaré la vaccino-hésitation comme l’une des 10 premières menaces de la santé au niveau planétaire, mettant ainsi la problématique de l’hésitation vaccinale au centre des préoccupations des professionnels de la santé (1).
La vaccino-hésitation se définit comme un retard de la vaccination malgré la disponibilité des vaccins. Phénomène à multiples facettes et influencées par des facteurs socio-culturels et individuels.
On estime que 30 personnes sur 100 sont vaccino-hésitantes. Parmi ces 30 personnes 28 sont indécises et 2 convaincues de leur position anti-vaccinale (2).
L’accès à l’information, notamment dans un contexte d’ère post-factuelle, non seulement ne représente pas de facteur protecteur, mais la surcharge des informations est identifiée comme facteur alimentant la vaccino-hésitation.
Il est bien établi que la désinformation circule 6 fois plus rapidement que la vraie information (3).
La prolifération et la circulation de ces fausses informations deviennent de facto une nouvelle réalité et s’accompagnent d’une acceptation des faits alternatifs.
La plupart des professionnels de la santé répondent à l’hésitation vaccinale en voulant « corriger » les fausses informations des patients (righting reflex) (4).
Malgré la bonne intention derrière cette démarche corrective, plusieurs études ont démontré que les interventions factuelles non seulement ont peu ou pas d’impact, mais elles peuvent même se révéler contre-productives. On parle de l’effet « retour de flamme » (backfire effect » (5).
Ce sont les sciences cognitives -et plus particulièrement la métacognition- qui nous expliquent ce phénomène. Quelle soit juste ou fausse, dès qu’une croyance est ancrée, tout individu tend à la protéger en donnant de préférence crédit aux informations appuyant ses croyances et rejetant les faits contraires (biais de certitude).
Ainsi les interventions basées sur la narration (storytelling), les anecdotes, le questionnement et la reformulation des inquiétudes s’avèrent plus efficaces à susciter l’acceptation vaccinale (6).
La métacognition et les techniques de l’entretien motivationnel
La métacognition- fondée par le psychologue John Flavel- est la science qui étudie la pensée humaine, notamment les erreurs de la pensée, les erreurs du raisonnement hypothético-déductif. On parle des biais cognitifs (7).
Parmi la vingtaine des biais cognitifs le biais de l’abdication, qui est l’erreur de considérer une hypothèse ou une simple question comme une conclusion mérite d’être explicitée.
Par exemple la lecture d’un article mentionnant une éventuelle corrélation entre la vaccination contre l’hépatite B et la sclérose en plaque peut induire notre cerveau à conclure sur un lien de causalité, sans forcément enclencher un processus analytique de l’hypothèse.
En d’autre termes à la question « Ne pensez pas à un éléphant rose»…l’éléphant rose apparaît dans notre cerveau !
Comment répondre à l’hésitation vaccinale ?
Les techniques de l’entretien motivationnel – développées initialement pour l’addictologie par le psychologue Stephen Rollnick dans les années 80- s’avèrent un outil métacognitif utile pour les professionnels de la santé pour répondre à l’hésitation vaccinale des patients (7).
Il a rapidement noté quand on laisse parler les patients- sans les interrompre au bout de 15 secondes- qu’on les écoute, qu’on ne les juge pas en déployant écoute et compassion les résultats sont plus probants.
Une étude canadienne a démontré que des discussions sur les vaccinations déployant les techniques de l’entretien motivationnel dans une maternité ont augmenté de 20 % la compliance vaccinales des jeunes parents (8).
Le soignant prend une autre posture. Ce n’est plus celui qui sait et qui corrige mais celui qui guide la personne vaccino-hésitante.
Passons en revue les quatre éléments essentiels de l'entretien motivationnel.
L'accent est mis sur la légitimation de l’hésitation, sur l’écoute et offrir des informations qui aident les personnes vaccino-hésitantes à se sentir en sécurité (9).
Le non jugement des arguments des patients vaccino-hésitants représente la pierre angulaire de cette approche.
Faire preuve d’empathie
Le thérapeute écoute sans interrompre, légitime l’hésitation sans jugement et crée un lien interpersonnel et non d’autorité
(Si j’avais vos inquiétudes il est probable que j’hésiterais aussi…)
Développer les divergences
Après exploration et reformulation des représentations du patient vaccino-hésitant, le thérapeute transmet les informations seulement après avoir recu permission et sans s’opposer aux arguments du patient. Le but est que le patient s’interroge sans entre en conflit avec lui-même.
(Si je comprends bien vous redoutez une modification génétique avec ces vaccins mRNA. Est-ce que vous me permettez de vous donner quelques éléments de réponse ? »
Éviter les argumentations
C’est probablement la partie la plus difficile de l’entretien motivationnel.
La contre-argumentation, attitude correctrice et spontanée pour un grand nombre de professionnels de la santé, repousse le patient dans une attitude défensive et ne fait que renforcer sa résistance.
Au contraire, la transmission neutre des informations évite de se placer en opposition.
(je peux comprendre que cela vous puisse vous paraître pas clair, je vous invite à prendre le temps de lire ces documents et de se revoir pour en discuter)
Nourrir le sentiment d’efficacité personnelle
La personne vaccino-hésitante a besoin de se sentir libre et valorisée dans sa compétence et autonomie de décision.
(J’admire votre démarche d’avoir abordé vos hésitations/questions, je vous invite à prendre le temps de lire ces documents/à prendre un temps de réflexion et je reste à votre disposition si nécessaire)
Conclusion
La vaccino-hésitation est une problématique de santé publique dont tout professionnel de santé est confronté.
Les approches factuelles se sont avérées peu efficaces voir contre-productives.
Une démarche de communication métacognitive avec les patients vaccino-hésitants s’appuie sur les techniques de l’entretien motivationnel. Le but premier de cette démarche n’est pas de corriger le patient vaccino-hésitant, mais de l’écouter et l’accompagner.
La vaccino-hésitation existe également chez les professionnels de santé. Améliorer la confiance parmi les professionnels de santé représente une stratégie cruciale pour soutenir les patients hésitants.
Des formations spécifiques sur la vaccino-hésitation devraient être envisagées à plus large échelle et devraient être également cautionnées par nos autorités sanitaires.
Les 4 piliers de l’entretien motivationnel.
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Approches à éviter
Convaincre et corriger : Essayer de ne pas voir cela comme une "victoire" ou une correction
Se lancer dans des informations et des conseils, avant même d'avoir entendu les inquiétudes de la personne. Cela sapera sa prise de décision.
Porter un jugement négatif sur la personne et sa motivation : elles seront remarquées !
Utiliser un langage fort, comme "Vous devriez..." ou "Vous devez ...." : cela porte atteinte à la liberté de choix.
Références
https://www.who.int/news-room/spotlight/ten-threats-to-global-health-in-2019
https://www.statista.com/topics/5166/vaccine-hesitancy-in-the-us/
Vosoughi S, Roy D, Aral S. The spread of true and false news online. Science 2018;359(6380):1146-15.
https://www.youtube.com/watch?v=17qHqklweYM
Henrikson NB, Opel DJ, Grothaus L, Nelson J, Scrol A, Unn JD, Faubion T, Roberts M, Marcuse EK, Grossman DC. Physician Communication Training and Parental Vaccine Hesitancy: A Randomized Trial . Pediatrics 2015;136(1):70–9.
Shen SC, Dubey V. Répondre à l’hésitation face à la vaccination: Conseils cliniques à l’intention des médecins de première ligne qui travaillent avec les parents. Can Fam Physician 2019;65(3):e91–e98.
Flavell JH. Metacognition and cognitive monitoring: A new area of cognitive – developmental inquiry. American Psychologist 1979;34(10):906–11.
Gagneur A, Lemaître T, Carrier N, Farrands A, Petit G. Post-partum vaccination promotion intervention using motivational interviewing techniques improves vaccination coverage during infancy. Abstract presented at: European Society for Pediatric Infectious Diseases 2016; du 10 au 14 mai 2016 Brighton, RU.
Alessandro Diana, Olivia Braillard, Nadine Eckert, Johanna Sommer Comment répondre à l’hésitation vaccinale de nos patients? Prim Hosp Care Med Int Gen. 2020;20(12):383-387